LES DIPLOMATES ET LES SOURCES D’INFORMATION 

Les diplomates, dans leur collecte d’informations, puisent aux sources les plus variées. Pendant la Shoah, nombreux furent ceux, incrédules ou acquis au nazisme, qui ne relayèrent pas les témoignages sur les massacres en cours. Certains, indignés, en informèrent leurs autorités, même indifférentes. C’est le cas du ministre plénipotentiaire de France à Bucarest, Jacques Truelle, avant son ralliement au gaullisme en 1943. Dès l’été 1941, il avise Vichy des exactions perpétrées par l’armée roumaine engagée aux côtés du Reich contre les Juifs d’Ukraine. Reliant ces faits aux déportations d’Europe de l’Ouest, il suspecte l’existence d’un plan d’extermination des Juifs à l’échelle de l’Europe.

Il disposait de sources encore nombreuses : presse, collègues neutres, convoyeurs de valises diplomatiques, consuls et enseignants français en poste près du front de l’Est, Roumains francophiles, notables juifs et même certains responsables politiques roumains incertains de la victoire de l’Axe.

Portrait

Jan Karski

Chargé par la Résistance intérieure d’informer le gouvernement polonais en exil à Londres de la situation en Pologne, Karski parvient à remettre à ce dernier, le 25 novembre 1942, des preuves de l’extermination massive des Juifs par les nazis. Le gouvernement polonais en exil les publie dans un rapport, édité le 10 décembre 1942, qui entraîne la déclaration interalliée du 17 décembre 1942.

 

Photo : Jan Karski, Pologne, 1939.
© Mémorial de la Shoah / USHMM

LA « DIPLOMATIE HOMICIDE » ALLEMANDE

Les diplomates allemands s’adaptent au régime et à sa politique meurtrière. Dès qu’Hitler annexe un pays ou s’allie à un État, les diplomates sont les premiers sur le terrain pour véhiculer la propagande du régime, comme ses mensonges sur le sort des Juifs.

C’est le ministère des Affaires étrangères (la Wilhelmstrasse) qui négocie l’arrestation et la livraison des Juifs des pays alliés, ainsi que les limites de la protection dont bénéficient certaines nationalités. Rien d’étonnant donc à ce que la diplomatie allemande soit représentée aux grandes réunions d’organisation de « La solution finale ».

Ainsi, Martin Luther, chef du département « Allemagne » du ministère, est présent à la conférence de Wannsee, du 20 janvier 1942, et à celle de « suivi » d’août 1942.

Le rôle des ambassades allemandes dans la déportation des Juifs

Le cas de la France

De 1940 à 1944, Otto Abetz occupe le poste d’ambassadeur d’Allemagne à Paris. Chargé de représenter la politique du Reich auprès de Vichy, il a été nommé par Hitler seul responsable des questions politiques en France occupée et non occupée : il coordonne les services civils, gère la sécurité, la propagande et la collaboration économique. Il se charge également de faire pression sur le gouvernement de Vichy afin que celui-ci accepte les demandes de Berlin et réclame très tôt l’application de mesures anti-juives.

 

PROTEGER, SAUVER : DES DIPLOMATES S’ENGAGENT

 

En avril 1943, les Alliés, qui n’ignorent plus rien des massacres de masse, se réunissent aux Bermudes pour y discuter de l’accueil des réfugiés juifs, mais sans réelle volonté d’aboutir.

La priorité reste la guerre. Le Reich, pour sa part, exige de ses alliés qu’ils livrent leurs Juifs,  des pays neutres, qu’ils rapatrient ceux vivant en Europe occupée. Alors que les diplomates en poste s’efforcent de protéger leurs nationaux menacés, certains vont jusqu’à délivrer de faux papiers, cacher et exfiltrer des Juifs en danger.

C’est en 1944 que des diplomates neutres, discrètement pourvus de moyens et missionnés pour sauver des vies, réalisent les opérations de sauvetage les plus spectaculaires, prenant de grands risques, ainsi que leurs épouses qui furent parfois des auxiliaires actives.

Le devoir de protéger leurs nationaux juifs prend une acuité nouvelle pour les diplomates des pays neutres et alliés de l’Allemagne.

Durant l’été 1944, Selahattin Ülkümen, consul général de Turquie à Rhodes, arguant de la neutralité de son pays, exige du colonel allemand Kleemann la libération des Juifs de nationalité turque (une cinquantaine), de leurs conjoints et de leurs enfants, massés au port dans l’attente de leur déportation. Kleemann obéit.

En représailles, des avions allemands bombardent le consulat turc, tuant deux employés et la femme d’Ülkümen ; lui-même est arrêté et transféré au Pirée jusqu’à la fin de la guerre.

Photo : Télégramme de Johannes Ladewig du Reichssicherheitshauptamt (ou RSHA) à Berlin au commandant en chef de la Sipo et du SD à Paris.
Berlin, Allemagne, 17 juin 1943. 

© Mémorial de la Shoah

Le cas de la Bulgarie

Après avoir écrasé la Yougoslavie et la Grèce, le Reich a confié la Macédoine et la Thrace à son alliée, la Bulgarie, en 1941.

Conclu sous la pression d’Adolf-Heinz Beckerle, ministre plénipotentiaire d’Allemagne à Sofia, l’accord Belev-Danneker du 2 mars 1943 – du nom de ses signataires, Alexander Belev, commissaire général bulgare aux Questions juives, et Theodor Dannecker, représentant d’Adolf Eichmann à Sofia – préside à la déportation des Juifs de ces régions.

Mais de nombreux Bulgares se mobilisent, dont des membres du Parlement, convainquant le gouvernement de suspendre l’opération le 9 mars.

Budapest, été 1944

Apprenant que le gouvernement hongrois s’apprêtait à demander aux Alliés un armistice séparé, le Reich envahit la Hongrie en avril 1944. C’est un arrêt de mort pour les Juifs de Hongrie. Dans les légations de Suisse, de Suède, du Portugal, d’Espagne et la nonciature, encore ouvertes à Budapest, seuls les diplomates neutres peuvent agir pour les quelque 180 000 Juifs de la capitale. Tous s’attellent à sauver des vies, mais le Suédois Raoul Wallenberg et le Suisse Carl Lutz ont, par leurs nombreuses actions, marqué l’Histoire et les mémoires.

 

Photo : Départ de Juifs pour le ghetto
. Budapest, Hongrie, novembre 1944.

© Mémorial de la Shoah

War Refugee Board

Créé par le président Franklin D. Roosevelt en janvier 1944, le War Refugee Board est une agence américaine destinée à aider les victimes civiles du Reich et des puissances de l’Axe. Il est présent en Suisse, au Portugal, en Turquie, en Suède, en Italie, en Grande-Bretagne et en Afrique du Nord. C’est son représentant en Suède, Iver Olsen, qui a choisi Raoul Wallenberg pour aller porter secours aux Juifs de Budapest.

Portraits

Raoul Wallenberg. 
Budapest, Hongrie, 1944-1945.
© Mémorial de la Shoah / CDJC

Raoul Wallenberg

Le Suédois Raoul Wallenberg est la figure de sauveteur la plus connue de l’histoire de la Shoah.

À Budapest, il plaça en 1944 des milliers de Juifs sous la protection suédoise. Il n’est pas un diplomate de carrière. C’est le War Refugee Board qui l’a recruté pour en faire le premier secrétaire de la légation suédoise et venir en aide aux Juifs. Il agit néanmoins avec le soutien de la diplomatie suédoise et de représentants d’autres nations.

Mystérieuse jusqu’à ce jour, sa disparition en 1945 entre les mains des Soviétiques n’a fait qu’ajouter à sa légende.

Carl Lutz et Stephen Wise
. Budapest, Hongrie, années 1940. © Mémorial de la Shoah / Collection Hänssler.

Carl Lutz

Nommé consul de Suisse à Budapest en 1942, il délivre des lettres de protection et des sauf-conduits à l’Agence juive pour la Palestine, permettant l’émigration de près de 10 000 enfants.

À partir de 1944, il obtient de pouvoir délivrer 8 000 lettres de protection et trouve une astuce pour sauver plus d’individus : il n’attribue pas une lettre à chaque personne, mais à une famille, toutes arborant un numéro compris entre 1 et 8 000.

Il participe à l’organisation de « maisons de protection », placées sous immunité diplomatique. La plus connue reste la « maison de verre », une ancienne usine de fabrication de glaces, où 3 000 Juifs hongrois trouvèrent refuge.