LE DÉROULÉ DU PROCÈS

Maurice Papon, un fonctionnaire de Vichy accusé de crime contre l’humanité

Placé en détention à la veille du procès qui commence le 8 octobre 1997, hospitalisé deux jours plus tard pour problème cardiaque , Maurice Papon obtient le 10 octobre 1997 de comparaître libre. Les parties civiles sont scandalisées. Le procès reprend dans une atmosphère houleuse. Après une journée et demie où les greffières se relaient pour lire l’acte d’accusation, on examine la personnalité et la biographie de l’accusé. Papon retrace sa vie, sa carrière, puis les avocats des parties civiles l’interrogent. Son rôle dans les évènements d’octobre 1961 est longuement abordé.

Le défilé des témoins de moralité

À partir du 16 octobre 1997, et pendant plusieurs jours, les témoins de moralité défilent à la barre : des anciens collègues de Maurice Papon, un vague ami juif de jeunesse, deux anciens premiers ministres (Pierre Messmer et Raymond Barre), des académiciens… Riss peut donner libre cours à ses talents de caricaturiste, traquant le ridicule ou l’indécence de certaines dépositions, qui font le panégyrique de l’accusé, en appellent à la « réconciliation des Français », minorent la réalité de la politique antijuive de Vichy ou délégitiment la parole des victimes.

La parole est aux historiens

Après une suspension de huit jours (l’accusé souffrant d’une bronchite infectieuse), les débats reprennent le 31 octobre 1997 avec l’audition des témoins historiens. L’audition d’experts, de « sachants » selon le jargon judiciaire, est une chose courante dans les tribunaux. Cela n’empêche pas la défense de Maurice Papon de s’indigner de la présence de l’historien américain Robert Paxton. Riss montre remarquablement les deux facettes de cette semaine d’histoire. D’un côté, le calme studieux – ainsi cette vue superbe du tribunal lors de l’audition de Marc Olivier Baruch. De l’autre, la cacophonie et les invectives…

Le rôle du service Juif de la préfecture de la Gironde

En zone occupée, la publication, à l’automne 1940, d’ordonnances allemandes prescrivant un recensement des Juifs puis jetant les bases d’une spoliation de leurs biens implique directement les préfectures chargées d’appliquer ces ordonnances. La dénomination service des Affaires (ou Questions) juives apparaît dans les organigrammes, en Gironde comme dans la plupart des préfectures. En 1942, l’avènement de Pierre Laval au poste de chef de gouvernement s’accompagne d’un renforcement des missions antisémites confiées à l’administration préfectorale. Sous l’autorité du chef de la police de Vichy, René Bousquet, il s’agit désormais de livrer des dizaines de milliers de Juifs étrangers à l’occupant. C’est dans ce contexte que Maurice Papon est nommé secrétaire général de la préfecture de la Gironde, un poste de facto très politisé…

Les crimes contre l’humanité reprochés à Maurice Papon

La déportation de Léon Librach

Après de longues audiences consacrées au défilé des témoins puis à l’examen des responsabilités administratives de Maurice Papon, la cour se penche à partir du 10 décembre 1997 sur les crimes contre l’Humanité reprochés à l’accusé. Le premier concerne la déportation de Léon Librach. Le cousin de celui-ci, Hertz Librach (1924-2007), est partie civile dans le procès. Bien que français, Léon Librach, interné pour franchissement de la ligne de démarcation, a été envoyé à Mérignac puis transféré à Drancy sur ordre des services de Papon. Déporté à Auschwitz (18 septembre 1942), il n’est pas revenu. Malgré les éléments à charge et la force de son témoignage, Hertz Librach sera débouté.

Le convoi du 18 juillet 1942

La rafle des Juifs étrangers dans la nuit du 15 au 16 juillet 1942 et le convoi Bordeaux-Drancy qui a suivi deux jours plus tard (172 déportés) sont parmi les charges les plus lourdes pesant sur Maurice Papon. Dès le 3 juillet 1942, le secrétaire général de la préfecture de la Gironde écrivait : « L’exécution de ces mesures dans le laps de temps imposé est difficile, mais possible. » La suite, adaptation au plan local des décisions prises à Paris entre Bousquet et les chefs de la police allemande, fut un modèle d’efficacité bureaucratique et policière. Du 12 au 18 décembre 1997, les audiences sont consacrées à ce moment dramatique de l’été 1942.

Le convoi du 26 août 1942

Le 23 décembre 1997, commence l’examen du convoi Bordeaux-Drancy du 26 août 1942. À son bord, il y avait 444 Juifs, dont 57 enfants (français). Rarement les responsabilités de Maurice Papon et de ses services n’auront été cernées d’aussi près. La diffusion d’une facture de taxi, liée à la recherche par la préfecture de quatre enfants juifs hébergés à Branne et à Saint-Michel-de-Fronsac (115 kilomètres parcourus !), marque plus particulièrement les esprits. Interrompu jusqu’au 5 janvier 1998, le procès reprend avec les dépositions saisissantes de victimes, parmi lesquelles Léon Zyguel, l’un des rares rescapés du convoi du 26 août 1942.

Le convoi du 21 septembre 1942

Le 12 janvier 1998, le tribunal examine le cas de Marie Reille (1915-1989), victime du convoi du 21 septembre 1942. Cette affaire n’est pas reprochée à Maurice Papon, mais, outre son caractère exceptionnel, elle est symptomatique du zèle de son subordonné aux « affaires juives » Pierre Garat. Née (Silva) d’un père juif et d’une mère non-juive, épouse d’un non-Juif, Mme Reille n’a dû qu’à l’acharnement de Garat d’être classée comme juive, arrêtée et déportée. Son mari réussit à faire intervenir un ami travaillant au commissariat général aux Questions juives. À en croire le témoignage laissé par Marie Reille, à son arrivée à Auschwitz, les autorités avaient été averti de l’erreur. Rapatriée, avec fleurs et excuses des Allemands, et de retour à Bordeaux en décembre 1942, elle serait venue faire un scandale dans le bureau de Garat !

Le convoi du 26 octobre 1942

Comme les deux convois précédents, le convoi Bordeaux-Drancy du 26 octobre 1942, comprenant 128 Juifs raflés une semaine plus tôt, est l’un des principaux crimes contre l’Humanité reprochés à Maurice Papon. Une fois de plus, son subordonné Pierre Garat avait fait flèche de tout bois afin de satisfaire l’occupant et d’atteindre les quotas : parmi les 128 victimes envoyées à Drancy se trouvaient une quarantaine de Juifs français… L’examen de ce convoi occupe les audiences des 15 au 22 janvier 1998, dans un environnement médiatique de plus en plus vicié qui n’échappe pas à Riss.

L’affaire Castagnède-Klarsfeld

« Procès Papon, il faut en finir ! », titre L’Express du 22 janvier 1998. Depuis plusieurs semaines, observateurs et journalistes dénoncent le « naufrage » d’un procès qui n’en finit pas, qui tourne à la « confusion ».

L’hypothèse de l’acquittement grandit et inquiète les parties civiles. C’est dans ce contexte que, le 28 janvier 1998, survient ce que Riss qualifie de « problème Klarsfeld » : la révélation par le jeune avocat et son père Serge d’un lointain lien de parenté entre le président Castagnède et une personne déportée dans un convoi reproché à Papon…

Les Klarsfeld renoncent à la procédure de récusation, mais le malaise autour du procès et au sein du tribunal est à son comble.

Le convoi du 30 décembre 1943

Le convoi Bordeaux-Drancy du 30 décembre 1943 ne sera finalement pas retenu contre Maurice Papon. À son bord, se trouvaient 133 Juifs, dont 37 enfants. La rafle avait eu lieu dix jours plus tôt. Elle avait été exécutée directement par des policiers allemands assistés d’inspecteurs de l’antenne locale de la police du commissariat général aux Questions juives (la SEC).

Les 29 janvier et 2 février 1998, la cour tente de comprendre le lien entre les listes de la SEC et celles de la préfecture de la Gironde, tandis que Maurice Papon tente, une nouvelle fois, perfidement de mettre en cause le grand rabbin Cohen (1876-1976), rabbin de Bordeaux à l’époque…

Le convoi du 12 janvier 1944

Le convoi Bordeaux-Drancy du 12 janvier 1944 symbolise l’abandon des Juifs français par Vichy. Avec les convois de juillet, août et octobre 1942, il fera partie des crimes finalement retenus contre Maurice Papon. À son bord se trouvaient 364 Juifs dont une cinquantaine d’enfants.

Le 10 janvier 1944, la police allemande ordonne une rafle à Bordeaux. Avisés vers 13 heures, les bureaucrates de la préfecture tergiversent. Finalement, de Vichy, on leur demande de s’exécuter. Ce qu’ils font avec une efficacité redoutable. À partir de 20 heures, l’opération commence. Plus de la moitié des personnes visées – des Juifs français, qui se pensaient à l’abri des rafles – seront arrêtées et déportées.

Le convoi du 13 mai 1944

L’examen du convoi Bordeaux-Drancy du 13 mai 1944 (62 victimes), qui ne sera pas retenu contre Maurice Papon, est l’occasion de revenir sur le point crucial de « ce qu’on savait ».

En mai 1944, pouvait-il y avoir un doute sur le sort fatal qui attendait les déportés ? À l’instar des avocats, le président abat ses dernières cartes : un homme comme Papon, lié à la Résistance depuis 1943, devait savoir ce qu’il en était…

Plusieurs anciens déportés viennent ainsi témoigner, rappelant que les déportés, même les enfants, savait le sort qui les attendait.  Pierre Durand, déporté à Buchenwald explique : « ces enfants savaient qu’ils étaient là pour être gazés ».

Papon, la résistance et l’épuration

En février 1998, la plupart des audiences du procès sont consacrées à l’examen des titres de résistant de Maurice Papon au sein du réseau Jade-Amicol (dont Me Boulanger parvient à démontrer qu’ils se réduisent à peu de chose) puis au problème de l’épuration.

À nouveau, les témoins de moralité défilent à la barre. Riss s’en donne à cœur joie, croquant les envolées les plus ridicules de ces anciens résistants fébriles et solennels venus défendre Papon. « Juifs, mes frères, je vous demande de ne pas tolérer qu’on condamne Papon.

Tous les résistants vous le demandent », s’exclame ainsi le dernier survivant du « réseau du musée de l’Homme » !

Les plaidoiries et le réquisitoire

Du 9 mars au 17 mars 1998, 24 avocats vont se succéder pour les plaidoiries des parties civiles : de Me Boulanger (plus de six heures), jusqu’à Me Zaoui.

Les observateurs vont plus particulièrement retenir les plaidoiries de Me Jakubowicz, axée sur le thème « Il savait ! », de Me Zaoui, théoricien du « crime de bureau », et d’Arno Klarsfeld, le seul à ne pas réclamer la perpétuité, mais une peine « intermédiaire ».

Exceptionnellement, le réquisitoire est à deux voix, l’avocat général Robert laissant au procureur général Desclaux le soin de demander « vingt ans ».

Le verdict

Le 2 avril 1998, Maurice Papon est condamné à dix ans de prison pour complicité de crimes contre l’Humanité. Les jurés ont délibéré pendant 19 heures et répondu à 764 questions.

Les charges pour complicité d’assassinat des Juifs déportés à Auschwitz ne sont pas retenues ; on reproche à l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde d’avoir apporté un « concours actif » à l’arrestation, à la séquestration et au transfert à Drancy d’une cinquantaine de victimes (quatre convois).

Au grand dam de Riss et de la plupart des parties civiles, les jurés ont suivi les recommandations de Me Klarsfeld et du procureur général d’une peine « intermédiaire ».

Les suites du procès

À la veille de l’examen de son pourvoi en cassation en septembre 1999, Maurice Papon s’enfuit en Suisse. La cavale, grotesque, est de courte durée. Arrêté, l’ancien ministre est déchu de son pourvoi en cassation et emprisonné à Fresnes puis à la Santé. Libéré en septembre 2002, pour raison médicale, il retourne vivre dans sa petite ville natale de Gretz-Armainvilliers. En juillet 2003, Papon saisit la justice pour demander un procès en appel. Le 11 juin 2004, la Cour de cassation rejette son pourvoi contre la condamnation du 2 avril 1998, mettant un point final aux recours possibles. Il décède en février 2007 à l’âge de 96 ans.

Sans doute le procès Papon symbolisera-t-il, pour la postérité, le procès du « crime de bureau », de ce crime typiquement vichyste au bout du compte, commis par des fonctionnaires qui, par carriérisme, manque de courage, indifférence ou préjugés xénophobes et antisémites, furent des « maillons » de la « Solution finale » sans vouloir ni, souvent, imaginer l’extermination des Juifs.