Une famille française juive

Simone Veil naît le 13 juillet 1927 à Nice. Elle est la benjamine des quatre enfants de la famille Jacob : Madeleine, surnommée Milou, née en 1922 à Paris, Denise, née en 1923 à Paris, et Jean, né en 1925 à Nice. La famille s’est installée à Nice en 1924. André Jacob comprend que la Côte d’Azur, alors en plein développement, lui offre de bonnes perspectives professionnelles. 

Les trois filles Jacob intègrent les scouts en s’inscrivant à la Fédération française des éclaireuses, qui regroupe les éclaireuses israélites, unionistes et neutres. Plus tard, Simone Veil dira que cet apprentissage du scoutisme l’a sauvée de la mort dans les camps. 

« C’est le personnage le plus important de ma vie. Je sais que tout le monde prétend avoir eu la mère la plus belle, la plus douce, la plus généreuse… Mais je me dis, pour elle, c’était vrai  !  » 

 Simone Veil

Les Jacob sous l’Occupation

Au début de la Seconde guerre mondiale, le 1er septembre 1939, Simone Jacob a 12 ans. La vie suit son cours à Nice, loin des combats de la « drôle de guerre ». L’armistice du 22 juin divise la France en deux.  Dès septembre 1940, lois françaises et ordonnances allemandes définissent qui sont les Juifs, les identifient, et les excluent ensuite de la vie économique. 

Le 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord. Prétextant vouloir prévenir un débarquement allié en France les forces allemandes et italiennes investissent, en moins de 24 heures, toute la zone non occupée. La France est entièrement sous tutelle allemande, hormis huit départements à l’est du Rhône, occupés par la quatrième armée italienne, à partir du 11 novembre 1942. Les Italiens semblent protéger les Juifs de leur zone et refusent que Vichy les livre aux Allemands

À partir du 10 septembre 1943, à la suite de l’armistice signé entre l’Italie et les Alliés, les Allemands investissent Nice. La Gestapo y organise la traque des Juifs. Des rafles sont systématiquement opérées dans les hôtels et les meublés. Désormais, il faut se cacher, obtenir des faux papiers, quitter le domicile familial pour échapper aux rafles. La famille s’éparpille dans Nice. Tous possèdent des faux papiers au nom de Jacquier. Ils se croient protégés. Pour l’anniversaire de Milou, un dîner réunit à Nice les six Jacob le 22 mars 1944. Ils ne savent pas que ce sera le dernier. 

« J’ai eu une peur terrible de la guerre. J’ai eu peur tout le temps, bien avant 1940, une sorte d’intuition précoce et exacerbée. »

Simone Veil

Nice, Drancy, Auschwitz, Bergen-Belsen

La vie de Simone Veil bascule le 30 mars 1944, le lendemain de son examen du bac. Elle est arrêtée lors d’un contrôle et conduite à l’hôtel Excelsior. Puis, c’est au tour de d’Yvonne Jacob, son fils Jean et sa fille Milou d’être arrêtés. Seuls le père de Simone et Denise, qui était déjà rentrée à Lyon, ne seront pas arrêtés.

Le 7 avril 1944, Simone, Milou, Jean et Yvonne montent dans le train qui les conduit au camp de Drancy. À l’aube du 13 avril 1944, 1480 hommes, femmes et enfants, dont Simone, Yvonne et Milou, sont embarqués à bord d’un train, formant ainsi le convoi 71. Deux jours et demi plus tard, ils arrivent en pleine nuit, le long du quai de débarquement d’Auschwitz-Birkenau. Le lendemain matin, le numéro de matricule 78651 est tatoué sur le bras gauche de Simone. Ses cheveux sont coupés courts mais pas rasés.

Quelques semaines plus tard, Stenia, une Kapo réputée pour sa cruauté, s’arrête devant Simone et lui dit : « Tu es trop belle et trop jeune pour mourir ici. Je vais t’envoyer à Bobrek. » Avec aplomb, Simone répond : « À condition que ma mère et ma sœur puissent se joindre à moi ! » Elles quittent alors toutes les trois Auschwitz pour Bobrek.

Simone Veil est affectée à des travaux de terrassement avant de rejoindre l’usine Siemens, à partir de décembre 1944, jusqu’au départ de la marche de la mort, le 18 janvier 1945. Après deux jours de marche, soit une distance de 70 kilomètres, elles entrent dans le camp de Gleiwitz, d’où elles prendront un train. Le 30 janvier 1945, Simone, sa sœur et sa mère, épuisées par la marche de la mort, arrivent au camp de Bergen-Belsen. Les détenus manquent de nourriture, d’eau et vivent dans des conditions sanitaires terribles, le typhus y fait des ravages. Par chance, Simone retrouve Stenia, l’ancienne Kapo d’Auschwitz, qui l’affecte aux cuisines des SS où elle épluche les pommes de terre. Elle peut voler un peu de nourriture pour sa sœur et sa mère. Cette dernière, atteinte du typhus et à bout de force, meurt le 15 mars 1945. Le 15 avril 1945, quand les troupes britanniques libèrent le camp, ils trouvent 60 000 survivants, parmi lesquels Simone et Milou. 

« Je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l’humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires. »

Simone Veil

Reprendre le cours de sa vie

Rapatriée de Bergen-Belsen avec sa sœur Milou, gravement atteinte par le typhus, elles sont accueillies le 23 mai 1945 à l’hôtel Lutetia, et donnent l’adresse de leur tante maternelle, qui héberge déjà Denise, rentrée du camp de Mauthausen le 27 avril. André et Jean font partie des « non rentrés ». Seule note gaie dans ce retour si douloureux, Simone apprend qu’elle a été reçue au baccalauréat. Elle s’inscrit en fac de droit et à Sciences Po. Simone est une étudiante modèle, silencieuse, discrète. En février 1946, lors d’un séjour au ski elle rencontre Antoine Veil, étudiant comme elle à Sciences Po. Ils se marient le 26 octobre 1946 à la mairie du XVIIe arrondissement.  

Cinq ans seulement après la fin de la guerre, Antoine Veil accepte un poste au consulat de Wiesbaden, qui lui permettra de préparer le concours de l’ENA. Simone, à la grande surprise de ses proches, accepte de s’expatrier en Allemagne, avec ses enfants, Jean, né en 1947, et Claude-Nicolas, né en 1948. L’été 1952, Milou, la sœur aînée de Simone lui rend visite avec son mari et son fils Luc, âgé d’un an. Sur la route du retour, ils sont victimes d’un accident de voiture. Milou meurt sur le coup, Luc décède dans les bras de Simone qui s’est précipitée à l’hôpital. Après la naissance de son troisième enfant Pierre-François (en 1954), Simone Veil annonce à son mari son intention de s’inscrire au barreau. Il s’y oppose. Déterminée à travailler coûte que coûte, en 1954, Simone Veil réussit le concours de la magistrature et est affectée à la direction de l’administration pénitentiaire où elle parcourt la France pour inspecter les conditions de vie, alors déplorables, des détenues. 

« J’avais à la fois une boulimie d’études et besoin de m’occuper. L’injonction de ma mère résonnait encore à mes oreilles : il faut étudier pour exercer une vraie profession. »

Simone Veil

Première femme Ministre

Première femme ministre de la Santé du premier gouvernement du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, elle est la seule femme ministre de ce gouvernement. Son action consiste à affirmer le droit des femmes et à renforcer la politique familiale.

À peine arrivée au gouvernement, Simone Veil est chargée de préparer un projet de loi sur l’interruption volontaire de la grossesse (IVG). Le 26 novembre 1974, premier jour de l’ouverture des débats à l’Assemblée, Simone Veil prononce son discours dans un climat très tendu. Pendant trois jours et deux nuits, Simone Veil affronte sa propre majorité, conservatrice et catholique, et l’extrême droite. Jacques Chirac vient s’asseoir en urgence sur le banc des ministres pour la soutenir. Le 29 novembre 1974, après plusieurs jours de débats houleux, le texte est finalement adopté par 284 voix contre 189. C’est l’opposition, de gauche, qui plébiscite la loi, tandis que la majorité dont est issue Simone Veil s’y oppose. En janvier 1975, la loi entre en vigueur. 

« En 1974, je suis entrée au gouvernement uniquement parce que j’étais une femme. Valéry Giscard d’Estaing s’était engagé, en tant que candidat à la présidence de la République, à faire participer des femmes au gouvernement. »

Simone Veil

L’Europe, la voie de la réconciliation franco-allemande

Après cinq années au ministère de la Santé, le président Giscard d’Estaing invite Simone Veil à porter les couleurs de l’Union pour la démocratie française (UDF) pour les premières élections du Parlement européen au suffrage universel, le 10 juin 1979. Simone Veil est tête de liste de l’UDF. Désignée candidate du groupe libéral à la présidence du Parlement, elle est élue, le 17 juillet 1979, au second tour, par 192 voix sur 377. Elle devient alors la présidente du premier Parlement européen élu directement. C’est la première femme à la tête d’une institution européenne, fonction qu’elle exercera de juillet 1979 à janvier 1982. 

Elle siégera dans cette assemblée jusqu’en 1993, date à laquelle elle est appelée sous le gouvernement Balladur au poste de ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Puis, en 1998, elle est nommée membre du Conseil constitutionnel où elle siègera jusqu’en 2007.  

« L’Europe est une ambition à laquelle j’ai voué une partie de ma vie. Elle a été l’horizon qu’au lendemain de la guerre quelques pères fondateurs se sont fixé pour remiser à jamais les guerres fratricides. S’engager pour se réconcilier avec l’Allemagne, pour que s’éloigne à jamais le spectre d’une troisième guerre mondiale… »

Simone Veil

 

Transmettre la mémoire de la Shoah

Le 28 octobre 1978, l’hebdomadaire L’Express publie une interview de Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux questions juives du gouvernement de Vichy, avec ce titre : « À Auschwitz on n’a gazé que des poux ». Après s’être longtemps interrogée, Simone Veil décide de répliquer non pas en tant que personnalité préférée des Français depuis 1975, mais comme Simone Jacob, rescapée d’Auschwitz. Un an plus tard, près de 20 millions de téléspectateurs découvrent vraiment Simone Veil avec la diffusion, dans « Les Dossiers de l’écran » sur Antenne 2, de la série américaine Holocaust.  

Son engagement se concrétise avec son entrée au conseil d’administration du Mémorial de la Shoah dans les années 1980, puis en tant que vice-présidente. En 2001, elle devient présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah jusqu’en 2007, puis présidente d’honneur. En décembre 2004, alors présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Simone Veil accepte de revenir à Auschwitz avec ses enfants et ses petits-enfants accompagnés d’un journaliste et d’un photographe de Paris Match

« C’est seulement lorsque je suis devenue ministre, sortant ainsi de l’anonymat, que j’ai eu l’occasion de parler publiquement de la déportation, et de donner diverses interviews sur ce sujet. »

Simone Veil

 

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Entrée à l’Académie française et au Panthéon

Le 18 mars 2010, Simone Veil fait son entrée à l’Académie française, située quai Conti. 

C’est l’écrivain Jean d’Ormesson, Immortel depuis 1973, qui a l’honneur de l’accueillir sous la Coupole parmi les 40 membres de l’Académie. Dans son discours, il insiste sur la force et le secret de sa personnalité qui savent marier la tradition et la modernité. 

Simone Veil décède le 30 juin 2017, à l’âge de 89 ans. Le mercredi 5 juillet, Emmanuel Macron, président de la République, lui rend hommage lors d’une cérémonie dans la cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides. Il annonce l’entrée de Simone Veil et de son mari Antoine Veil au Panthéon, nécropole laïque des grands hommes français dont la patrie reconnaissante veut honorer la mémoire.

Le dimanche 1er juillet 2018, Simone Veil, accompagnée par une foule immense et recueillie, attestant de sa grande popularité, entre au Panthéon aux côtés de son mari. Simone Veil est la cinquième femme inhumée au Panthéon, après Sophie Berthelot, Marie Curie, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. 

« Ce qui vous a sauvée du désespoir, c’est le courage, l’intelligence, la force de caractère et d’âme. Et c’est l’amour : il succède à la haine. »

Extrait du discours de Jean d’Ormesson lors de l’entrée de Simone Veil à l’Académie française