L’HÉRITAGE D’UN LANGAGE ANTIJUIF

De la fin du XVIIIe siècle (révolutions américaine et française) au début du XXe siècle (révolutions russes), le long processus d’émancipation juive a transformé la tradition d’antijudaïsme chrétien.

La fin des anciens régimes et l’octroi de droits civils et politiques aux Juifs suscitent le ressentiment de la majeure partie des Églises chrétiennes qui, par là même, amalgament Juifs et modernité.

Les régimes fascistes, nazi et autoritaires de l’entre-deux-guerres n’hésitent pas, ainsi, à recycler l’antijudaïsme chrétien pour alimenter leur propagande antisémite.

LA «SÉGRÉGATION CORDIALE»: LES LOIS ANTISÉMITES  

L’idéologie réactionnaire des régimes italien et allemand séduit une partie des Églises chrétiennes qui y voit un rempart contre le communisme, ainsi qu’un instrument pour rechristianiser les sociétés modernes. Les Églises approuvent dans l’ensemble les premières mesures discriminatoires contre les Juifs.

Cependant, à mesure que les menaces de guerre planent de nouveau sur l’Europe à la fin des années 1930, certains chrétiens – des mouvements protestants œcuméniques au pape Pie XI – prennent conscience des dangers de cette idéologie et dénoncent parfois l’incompatibilité entre racisme et christianisme. Mais ces protestations se soucient essentiellement de préserver les droits des Églises, notamment la situation des chrétiens d’origine juive et des mariages mixtes.

Le sort des Juifs persécutés n’est qu’une question secondaire pour les dirigeants chrétiens qui tendent à adopter une attitude diplomatique et une réserve prudente. Alors que la guerre mondiale éclate, les Églises craignent qu’une protestation frontale entraîne des représailles contre leurs propres fidèles.

RELATION DE VICHY AVEC LES ÉGLISES DE FRANCE 

Soutenant l’œuvre de restauration nationale menée par Vichy, les Églises ne diffèrent guère de l’attitude de l’immense majorité de la population française en 1940, qui paraît alors acquise au nouveau régime.

La mise en place d’une politique antisémite ne soulève pas d’opposition de la part de la hiérarchie catholique, sondée à ce sujet. Pourtant, derrière ce silence, se cache une diversité d’attitudes.

Mais celles-ci ne sont cependant pas encore publiques, et il faudra attendre le déclenchement des grandes rafles de l’été 1942 pour voir apparaître publiquement un rejet de la politique antijuive de l’État français de la part d’une partie des Églises.

LES RAFLES DE L’ÉTÉ 1942 

En juin 1942, Adolf Eichmann planifie les opérations de déportations qui doivent marquer le déclenchement de la « Solution finale » en Europe de l’Ouest. Il fixe un quota de 40 000 personnes à déporter depuis la France avant la fin de l’année. Pour l’occupant, la réalisation des opérations se heurtent à plusieurs difficultés. Ils doivent, pour pouvoir mener à bien les déportations, s’appuyer sur la collaboration de l’État français.

En échange de la réalisation des arrestations par la police et la gendarmerie françaises, notamment par l’organisation de rafles à travers le pays, les Allemands acceptent certains réaménagements des accords d’armistice.

Vichy s’engage à procéder à la livraison d’un premier contingent de 10 000 personnes depuis la zone libre et, dans le même temps, de prendre à sa charge l’organisation des rafles en zone occupée, dont la plus importante doit avoir lieu à Paris.

LES PROTESTATIONS DES ÉGLISES CONTRE LES DÉPORTATIONS 

Ce sont surtout les arrestations et déportations de la zone libre qui provoquent un émoi profond au sein des Églises. Côté catholique, seule une minorité proteste contre les rafles, avec cinq lettres pastorales lues entre le 23 août et le 20 septembre 1942. Mais ces cinq protestations sont retentissantes de par le statut de leurs auteurs, en particulier les archevêques Gerlier et Saliège, respectivement à Lyon et à Toulouse.

De même, le Conseil national de l’Église reformée de France rédige un texte à lire en chaire le 4 octobre. Sans attaquer l’injustice de fond de la législation antisémite, ces protestations catholiques et protestantes dénoncent les déportations comme traitement inhumain infligé aux Juifs et contraire aux valeurs de la « conscience » chrétienne, terme commun à toutes ces déclarations.

En raison de leur écho dans l’opinion publique, elles ont pour effet d’inquiéter le régime de Vichy qui cherche avant tout à en limiter la diffusion. Ces protestations encouragent aussi les fidèles et les institutions religieuses à se tourner vers l’aide aux persécutés.

 

 

« Le silence trop souvent semble rendre les hommes complices du mal qui s’accomplit devant eux. Par votre plume l’Église a rompu le silence et pris la défense des innocents que l’on persécute indignement, elle a rappelé bien opportunément le précepte de la charité porté par le Christ. »

 

Père Thomas, Supérieur religieux du Scolastica Mariste de Sainte-Foy-lès-Lyon, au Cardinal Gerlier, 10 septembre 1942.